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"Inside Out In the Open - an expressionist journey into the music known as free jazz" entretien avec Alan Roth, realisateur

Jan 2002 Propos recueillis par Christian Gauffre

La fiche du film

Portrait extrêmement sensible d'une musique et de ses acteurs, "Inside Out in the Open" était présenté en Europe le 19 décembre à Hasselt (Belgique), en présence de son réalisateur Alan Roth. A cette occasion, nous avons eu un long entretien avec lui afin de mieux comprendre sa démarche. En voici la première partie. Suite et fin la semaine prochaine. (Le film n'est pas encore distribué)

Alan Roth, s’agit-il de votre premier film ?

De mon premier long documentaire. Précédemment, j'avais fait des courts métrages, sortes de travaux pratiques qui m’ont permis de trouver ce qui comptait vraiment pour moi. En fait, tout a démarré comme un simple projet de fin d'études dans une école de médias newyorkaise. Je l’ai retravaillé et complété et maintenant il a sa vie propre.

Comment l’avez-vous financé ?

Une grande partie du travail a été faite à l’école, c’est donc l’argent que je payais pour les cours qui a financé les travaux prélimianires. Ensuite il y a eu la famille, et finalement… Les cartes de crédit. Mais ça se passe souvent comme ça pour ce genre de productions. J’espère qu’il me sera plus facile de trouver des subsides pour mes projets à venir. Mais aux Etats-Unis, ça reste très difficile.

Ça ne l’est pas moins ici…

Sûrement. Mais aux Etats-Unis, depuis quatre ou cinq ans, est venu s'y ajouter un autre phénomène : une grande partie de l’argent qui passe habituellement dans le jazz a été engloutie en partie dans le projet de Ken Burns, le documentaire en dix épisodes pour PBS. Du coup, il a été beaucoup plus difficile pour les autres de trouver de l’argent.

PBS n'a pas produit la totalité de la série ?

Non, il y a eu aussi General Motors, diverses fondations…

C’était si cher ? Après tout, il y a surtout un travail de présentation d'archives…

C’est un budget de 14 millions de dollars. Pour un projet critiqué… J’ai commencé à travailler sur mon projet en 1997 : recherches, quelques prises de vues… je n’avais aucune idée, à cette époque, qu’il existait un projet aussi ambitieux que celui de Burns. Et j’ignorais donc que cette série serait aussi critique envers la musique à laquelle je m’intéressais, moi. D’une certaine manière, ça m’a aidé. Mon film est sorti après le sien, à un moment où d'aucuns cherchaient un discours objectif, ou au moins positif, sur la période de gestation du free jazz. Mais notre approche est très différente, bien sûr.

Est-il envisageable que PBS diffuse votre film ?

Je vais essayer d'y arriver en tout cas. Ça prendra du temps, mais si les réactions à mon travail sont positives, dans la presse jazz par exemple, ce n’est pas impossible. Mais mon film pose un problème : il est beaucoup plus "lent" que celui de Burns, et les programmateurs ont toujours peur que les gens ´ décrochent ª vite. Mon film est plus ´ bio  ª, il lui faut du temps pour se déployer. Il fonctionne mieux en salle.

La forme même du récit est différente…

Oui, chez Burns, on conte une histoire, ça tient davantage de l’encyclopédie : un narrateur et des images qui bougent. Les gens sont habitués à cette forme, qui permet de dramatiser les choses. Dans mon film, on parle d’une musique au travers de ceux qui l’ont faite au fil des ans, ce sont eux les commentateurs. Je voulais trouver un langage documentaire dans lequel je me sentirais à l’aise, et je me suis aperçu qu’il était finalement très proche du concept même de cette musique.

Comment vous êtes-vous intéressé à cette musique, au free jazz ?

J’ai grandi à Cleveland, dans l’Ohio. Mes parents écoutaient du jazz, j’ai grandi dans cette musique. A l’adolescence, mes intérêts musicaux allaient de John Cage au jazz en passant par divers compositeurs contemporains et ce qui est ensuite devenu la ´ World Music ª. Je me suis toujours intéressé à ce qui était différent. Politiquement, j’ai rapidement évolué vers la gauche. Et les choses se sont imbriquées. Je suis venu au free jazz à la fin des années 1980, au travers d’une radio universitaire de Cleveland.

Il y a donc des radios universitaires qui diffusent ce genre de musique ?

Ce sont les seules ! Aux Etats-Unis, la plupart des stations de jazz appartiennent au réseau public…

La NPR ?

Oui, et ses affiliées. Et ces gens-là sont en général beaucoup moins ´ aventureux ª dans leur programmation. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, si vous voulez écouter Cecil Taylor, vous avez plus de chance de l’entendre sur une radio universitaire, diffusé par un jeune de 24 ans, que sur une station jazz publique.

Comment s'est poursuivie votre découverte du free ?

Mon intérêt est allé croissant. Le free jazz avait quelque chose qui ´ me parlait ª. Par son ouverture, par son travail sur la durée qui donnait à chaque concert valeur de voyage… A cette époque, je travaillais pour la Poste.

Pour payer vos études ?

Non, c’était mon vrai travail ! J’avais arrêté les études après le lycée, et il m’avait fallu trouver un emploi. La Poste avait l’avantage d’être un travail relativement stable— à l’aune des Etats-Unis —, plutôt bien payé… Et parallèlement, je m’intéressais à la politique, aux arts…

´ La politique ª, ça voulait dire quoi ?

Les mouvements nés pendant la guerre du Viet-nâm, anti-guerre, qui ont évolué en mouvements anti-apartheid, puis en mouvements de défense des travailleurs… J’ai été représentant syndical à la Poste, par exemple. Je représentais notre section au niveau central…

Quel syndicat était-ce ?

L’American Postal Workers Union.

Affilié à l’AFL...

Oui. Et en même temps, je m’intéressais à l’art, à la musique, aux films -- en tant que spectateur. Je m’intéressais plutôt au travail des indépendants, à ce qui venait d’autres pays, à l'expérimental… Il y avait une continuité dans ma vie et mes choix. J’ai toujours été marginal.

Quel type de jazz vos parents écoutaient-ils ?

Ils étaient plus ´ conservateurs ª : plutôt Sarah Vaughan... Ils étaient allés voir Art Tatum quand il était passé à Cleveland, Nat King Cole… Les big bands… Plus Basie et Ellington que Tommy Dorsey… Ils s’intéressaient davantage aux jazzmen noirs.

Comment êtes-vous passé de cette musique au free jazz dans les années 1980 ?

Les enfants écoutent la musique de leurs parents jusqu’à un certain point puis, soudain… On trouve toujours quelque chose à quoi s’identifier et qui diffère de leurs goûts.

Un beau jour, vous avez abandonné votre emploi à la Poste...

A la fin des années 1980, la vidéo est devenu à la portée de tous. J’ai acheté une caméra. Au lycée, j’avais déjà fait de la vidéo avec une caméra super-8. J’ai commencé à travailler avec des danseurs, des musiciens, à enregistrer ce qu’ils faisaient… Et les gens aimaient bien ma vision des choses. Quand on commence à avoir des réactions positives, on se dit qu'on a peut-être un talent à développer... Plus je filmais, plus je me disais que j’aimais faire ça. Travailler à la Poste, c'était lasécurité financière, mais c'était aussi un certain emploi du temps, que j'aurais pu répéter à l'infini ou presque… A un certain moment, il est devenu difficile de faire les deux. J'ai songésérieusement à la possibilité de changer complètement d’orientation. Je suis retourné à l’école pour passer mon diplôme de fin d’études puis, en 1995, j’ai coupé le cordon ombilical en démissionnant, et en partant pour New York pour poursuivre mes études à la New School.

Parlez-nous de la naissance de votre projet "Inside Out"...

Juste avant mon départ pour New York, une radio de Cleveland a fait venir Charles Gayle, William Parker, Peter Brötzmann… J’ai eu enfin la possibilité de les entendre en personne et de discuter un peu avec William Parker. A mon arrivée à New York, ces gens-là jouaient un peu partout ! C’était en 1995, il y avait alors beaucoup de lieux qui ont fermé depuis. Par exemple le Cooler, dans la 14e Rue Ouest. Juste après mon arrivée et pendant un mois, ils ont fait toute une série de concerts gratuits le lundi soir. Rashied Ali supervisait le programme. Il y a eu des rencontres étonnantes : William Parker-Rashied Ali-Charles Gayle par exemple. Une formation qui aurait pu survivre… Il y avait aussi la Knitting Factory... Tout ça m’a donné la possibilité de discuter avec ces musiciens, de sympathiser avec eux. Mais à cette époque, je ne pensais pas que je finirais par faire un documentaire avec eux.

Finalement, à l’école, j’ai dû choisir un sujet pour mon projet de fin d’études, et je me suis dit que j’adorais cette musique, qu’il n’y avait finalement pas grand chose sur elle historiquement, et qu’il serait bien que je fonce. A l’époque j'étais certain que j’allais faire LE documentaire sur le free jazz ! C'était particulièrement ridicule bien entendu, je l’ai compris après. J’ai commencé à me documenter, à lire tous les livres que je pouvais trouver : Amiri Baraka-LeRoi Jones, ´ Blues People ª…

Vous n’avez pas lu ´ Free Jazz-Black Power ª de Philippe Carles et Jean-louis Comolli…

Non, je ne crois pas qu’il ait été traduit hélas. Mais j’ai lu les livres sur l’improvisation africaine de Francis Bebey, et bien d’autres. Je suis allé aussi souvent que je l’ai pu à l’Université de New York, qui a une belle collection de vidéo, et j’ai regardé tout ce que j’ai trouvé sur le sujet.

Puis, en 1997, il y a eu le Vision Festival. J’y ai assisté avec ma caméra Hi-8, et j’ai filmé des passages, pendant tout le festival. J’ai beaucoup discuté avec les musiciens, je me suis entièrement immergé dans mon projet. J’ai réfléchi à la manière dont on pouvait filmer cette musique.

Comment avez-vous déterminé la forme ? Aviez-vous un concept préalable, ou bien l’avez-vous bâti au fur et à mesure que vous filmiez ?

Je suis toujours resté très ouvert à ce qui se passait. J’ai beaucoup filmé, tout en cherchant à clarifier ce que je voulais dire. J’ai rencontré beaucoup de musiciens, nous avons discuté devant un magnétophone de ce que j’avais tiré des ouvrages que j’avais lus, nous avons tout mis à plat. Mais je n’ai jamais eu de script. Je n’avais pas d’idée préconçue sur l’enchaînement des interviews…

Il m’est apparu que beaucoup de choses entraient en ligne de compte dans le fait qu'une musique ´ arrive ª. On peut dire que cette musique a été ce qu’elle a été dans les années 60 parce que c’était les années 60, parce qu'on y accordait une importance plus grande à la politique, etc. Mais ce n’est qu’une partie des choses déterminantes.

Je me suis mis à travailler de manière "circulaire", avec différentes idées, différents concepts, que j’ai commencé à cristalliser. Nous nous sommes rendus compte à un certain moment que, dans les interviews, les musiciens finissaient par faire ressortir ce qu’ils voulaient mettre en avant. Il m’arrivait de poser des questions, d’attendre une certaine réponse,et de voir que ça partait dans une toute autre direction. Mais j'ai laissé faire, je n'ai jamais tenté de ramener sur mon propre terrain. Il n’est pas difficile de faire dire à quelqu’un ce qu’on veut. Mais ce n’était pas ce que je voulais.

Au bout d’un moment, je me suis retrouvé avec des piles de bandes, et c'est alors que j’ai choisi d’organiser le film par grand concept. J’ai réfléchi à la musique qui fonctionnait au mieux avec tel ou tel passage...

Comment avez-vous décidé du rapport entre parole et musique ?

Je ne crois pas m’être dit à un moment ´ je veux qu’ils parlent plus qu’ils ne font de musique ª, ou l’inverse. J’ai réalisé que dans un documentaire, quand on traite d’histoire et d’idées en gérant onze interviews demusiciens, à moins de disposer de 90 minutes -- et encore --, on risque de ne pas leur laisser assez de temps pour qu’ils s’expriment. Il m’est vite devenu évident qu’il y aurait davantage de place accordée à la parole. D’autant que certains des musiciens n’étaient pas très connus, et que c'était l'occasion de leur apporter une certaine reconnaissance. Le fait de ne disposer que de 60 minutes m’a dicté certaines limites. Ce qui a été frustrant, quand on sait qu'il arrive parfois qu’un thème dure plus de 40 minutes et que je n’ai dû en conserver que les 40 dernières secondes… Mais il reste comme un parfum diffus…

Alan Roth, selon quels critères avez-vous choisi d’interviewer ou filmer tel ou tel musicien ?

J’ai décidé de rencontrer des gens actifs dans les années 1960, des musiciens de la première génération, puis d’aller jusqu’à la génération actuelle — la troisième quasiment. Ainsi, il y a une notion de continuité, on ne fait pas un film ´ musée ª sur ´ le bon vieux temps ª. Ensuite, les critères complémentaires ont été assez simples : j’ai choisi ceux qui étaient dans la région newyorkaise, qui m’intéressaient bien sûr, qui était joignables et interviewables — même si ce n’était que pour une petite conversation informelle non enregistrée… En fait, beaucoup d’intuition entre en jeu dans le choix des personnes. Parfois, un musicien en a suggéré un autre… Et puis, il y a le hasard. Ainsi, j’avais beaucoup lu sur John Tchicai que j’ai vu apparaître de manière inattendu, en invité surprise, au Vision Festival en 1997. Je l’ai filmé, je me suis laissé porter par sa présence, sa musique. Ce n’est qu’après que je me suis dit que je devrais approfondir les choses avec lui. Pour Roswell Rudd, un autre musicien me l’a suggéré. Il est venu à la Knitting Factory jouer en trio la musique de Herbie Nichols. Je suis allé l’écouter, puis je suis passé dans les coulisses et je me suis présenté. Or, dans les coulisses, il y avait aussi Burton Greene, qui était venu lui rendre visite. Je n’avais jusque-là aucune intention d’interviewer Burton, mais il m’a entendu parler du projet et… voilà ! En revanche, j’avais prévu d’interviewer Alan Silva… Ce n’est qu’après coup que j’ai réalisé que je pouvais désormais faire un documentaire avec deux paires de musiciens ayant joué dans les années 1960, et représentant deux groupes extrêmement différents : le New York Art Quartet — avec Roswell et John —, formation orientée ´ écriture ª, et le Free Form Improvisation Ensemble — avec Alan et Burton — totalement opposé à l’écriture… J’avais donc deux aspects de la période des années 1960. J’en suis donc arrivé à ne mentionner que deux groupes particuliers, mais ce n’était pas prévu à l’origine : ç’a été une évolution du projet.

Vous n’avez tourné qu’à New York ?

Essentiellement. C’était plus facile. N’oublions pas que j’y faisais mes études. Mais je suis aussi allé à Cleveland — j’y vais souvent, ma mère y habite —, en 1998. Le groupe In Order to Survive — William Parker, Cooper-Moore, Susie Ibarra et Rob Brown — faisait alors une tournée dans le Midwest, et au détour d’une conversation avec eux j’ai appris qu’il devait se produire à Cleveland le week-end où j’y étais. J’ai pris une caméra et je les ai retrouvés… Six mois plus tard, ils jouaient à Sarah Lawrence, où je suis allé, et où j’ai tourné aussi. J’ai aussi passé beaucoup de temps avec Other Dimensions in Music — Roy Campbell, William Parker, Rashid Bakr, Daniel Carter, et Matthew Shipp, qui jouait beaucoup avec eux à cette période. Je les ai filmés au aux Context Studios de New York, puis à la George Washington University à Washington D.C. pendant l’été. Et enfin, il y a eu l’interview de John Tchicai, qui vivait alors en Californie — il vient de s’installer dans le sud de la France — et celle d’Alan Silva, qui vivait alors en Allemagne.

Vous avez fait votre film : avez-vous obtenu votre diplôme ?

Oui, en mai 1999. Je suis maintenant un sans-emploi titulaire d’une maîtrise, et je ne m’en sors qu’en travaillant un peu en free-lance. La vie est difficile quand on ne veut pas prendre un emploi régulier. De plus, l’économie des médias à New York est en crise. Il faut se battre.

Que vous a apporté ce film ?

Un grand sentiment d’appartenance à un groupe pendant tout le tournage… Il se passait quelque chose au niveau de la pensée. Nous avions des choses en commun, nous parlions le même langage, nous étions tous des excentriques similaires.

Et les musiciens, avaient-ils quelque chose en commun  ?

Ce sont tous de très fortes personnalités. En fait, ce qu’ils ont en commun, c'est qu'ils sont uniques ! Ils sont tous très différents, mais ils sont tous très chaleureux, très ouverts, très amicaux…

Sur quoi les avez-vous interrogés ?

On est toujours parti de leur histoire : comment ils s’étaient retrouvés à faire de la musique, comment ils en étaient venus à cette musique-là, quel sens cette musique avait dans leur vie. ce que c’était que ´ jouer ª de la musique improvisée, ce que signifiait travailler collectivement en musique, etc. Bien sûr, certains ont répondu mieux que d’autres sur tel ou tel point… Mais quand on fait des interviews, il y a toujours ceux qui parlent lentement, à qui il faut beaucoup de temps pour s’expliquer, et dont on peut difficilement utiliser les propos. J’ai cherché à les intégrer au mieux à cette nouvelle improvisation collective : le documentaire. J’ai pris toutes les réponses, j’ai vu qu’en les rassemblant, parce qu’elles étaient différentes, on en arrivait à couvrir collectivement tout le champ. Mais c’est un processus difficile. La seule chose qu’on peut espérer quand on fait ce travail, c’est que le musicien, au bout du compte, ne soit pas irrité par le résultat.

Ils ont tous vu votre film ?

Oui. Certains l’aiment, d’autres l’adorent : Burton Greene, Alan Silva…

Dans quel esprit avez-vous filmé : celui d’un archiviste-historien qui cherche à enregistrer temoignages et informations, ou bien celui d’un cinéaste transcrivant une réalité au travers de sa propre écriture ?

J’ai toujours eu une ´ écriture ª personnelle. Ma manière de jouer avec ce petit rectangle de lumière s’est forgée au fil des expériences. Je ne fais pas des images équilibrées au sens classique du terme. Je suis attentif à ce qui se passe dans ce rectangle, en particulier dans les concerts. Je me demande toujours de quelle manière ces images fonctionnent par rapport à ce que j’entends. Comment puis-je, par mon regard, refléter ce qu’ils sont en train de jouer ? Moi aussi je prends des risques. Je peux faire des gros-plans, ou des images floues si je trouve ça plus intéressant visuellement.

Et pour les interviews, comment avez-vous travaillé ?

Les interviews ont été faites de manière plus conservatrice. Quand c’était possible, en particulier à New York, où je pouvais avoir les Betacam de l’école, un ami m’accompagnait pour s’occuper de l’image, tandis qu’un autre faisait le son, ce qui me permettait de me concentrer sur l’interview. D’autres fois, surtout l’été et hors de New York, j’étais seul.

Votre film n’est pas encore distribué ?

Non, cette année, je le montre dans les universités, dans les festivals, je cherche à attirer l’attention dessus. Je pense que ça facilitera la suite, la recherche de distributeurs.

Et vous travaillez déjà sur le documentaire suivant…

Oui, c’est ce que j’appelle ´ le documentaire inattendu ª ! Tandis que je travaillais sur le premier montage de Inside Out in the Open, John Tchicai m’a passé un coup de fil énigmatique : ´ Nous allons nous réunir. ª Il parlait du New York Art Quartet. Or, j’étais frustré, à l’issue du montage, de n’avoir pas pu parler davantage des années 1960 dans Inside Out in the Open. Je me suis alors dit qu’il y avait là un groupe témoin de ces années-là et que j’avais ainsi l’occasion de continuer à travailler sur ce sujet, de combler les vides que j’avais moi-même laissé. Je leur en ai parlé, ils m’ont donné leur accord. Ce second film sera évidemment d’un style complètement différent. Cette fois-ci, je vais plutôt du côté du cinéma vérité. La veille de leur premier concert, en juin 1999, ils se sont tous retrouvés pour dîner dans un appartement de West Village à New York : Milford Graves, Roswell Rudd, John Tchicai, Reggie Workman, qui avait été leur dernier bassiste, et Amiri Baraka. J’étais là, avec deux caméras et un ingénieur du son. C’était la première fois depuis 1965 qu’ils étaient tous ensemble dans la même pièce au même moment ! Ils ont dîné et bavardé… Fascinant. Une grande partie de cette soirée se retrouvera dans le documentaire. Je les ai suivis sur scène, dans les coulisses… Je les ai filmés à Banlieues Bleues, et au Portugal en août dernier.

Maintenant que vous avez filmé cette rencontre et les concerts de New York, Banlieues Bleues et Lisbonne, que vous reste-t-il à faire ?

Des interviews plus formelles avec chacun. Et il y a aussi d’autres personnes que j’ai l’intention d’interviewer à propos de 1964 : J’ai déjà un bout d’interview avec Steve Lacy… L’avantage de ce projet, c’est qu’il se concentre sur la période 1964-65, à New York. Ce film aura pour sujet principal quatre ou cinq individus qui avait alors une vingtaine d’années, qui en ont aujourd’hui une soixantaine, dont les existences ont divergé, mais qui continuent d’être créatifs. Et leurs retrouvailles près de quarante ans plus tard n’ont plus rien à voir, musicalement, avec ce qu’ils faisaient à l’époque. Il y a donc de très belles histoires à raconter. Je voudrais le faire en 2002. Ensuite, je m’écarterai de la musique pour faire un long documentaire sur la politique et l’économie de la mondialisation, du point de vue du Tiers-Monde.